Non, nous ne voulons pas voir les gorilles de l’aire de conservation de Nkuba

Frederik et moi nous tournâmes en même temps vers notre droite, d’où était venu le bruit de branches cassées. Mais comme partout ailleurs dans la forêt de Nkuba, je ne voyais que des arbres. Avant que je puisse demander à Frederik si lui pouvait voir ce qui avait fait le bruit, nous entendîmes quelque chose se mettre à courir vers nous. Et d’après le bruit que ça faisait, c’était quelque chose de gros. Nous avons compris qu’il s’agissait d’un gorille mâle quand il se mit à crier.

Célestin, notre guide et porteur, Frederik et moi nous rapprochâmes rapidement l’un de l’autre aussi silencieusement que possible. Célestin n’eût pas besoin de nous dire de ne pas faire de bruit : nous savions déjà que, quand un gorille vous charge, il y a deux règles d’or pour éviter les accidents. Premièrement, rester calme. Deuxièmement, ne pas regarder le gorille dans les yeux. Commencer à courir ou se cacher sont les meilleurs moyens pour pousser un gorille à vous attaquer pour de vrai. Le souffle court, nous attendîmes quelques minutes. C’était un de ces moments dans ma vie quand, proche d’un animal potentiellement dangereux, j’avais aussi peur que j’étais excitée. Alors qu’une partie de mon cerveau espérait fort que le gorille ne se rapproche pas plus, car je n’étais pas sûre de pouvoir garder mon calme face à un gorille adulte en colère, je désirais ardemment pouvoir le voir.

(Mal)heureusement, le gorille resta caché derrière les arbres, là où nous ne pouvions pas le voir. Mais nous savions qu’il était là, à quelques mètres de nous, en train de nous regarder. La tension était palpable. Après un moment pendant lequel ni homme, ni gorille n’osèrent bouger de peur de déclencher la colère de l’autre, Célestin estima que le gros du danger était passé. Nous reprîmes donc notre route, mais en silence et plus rapidement encore qu’auparavant. Une heure plus tard, aidés par l’adrénaline, nous avons rejoint le camp où nous allions passer la nuit.

Frederik et Célestin, notre porteur et guide

Nous n’avions aucunement l’intention de croiser le chemin des gorilles dans la forêt. En fait, la Fondation Dian Fossey fait tout pour étudier les gorilles de l’Aire de Conservation de Nkuba en s’assurant qu’il n’y ait aucun contact entre humains et gorilles. Et cela pour deux raisons :

1) Pour protéger les gorilles

Nous ne voulons pas approcher les gorilles pour les protéger des braconniers. Dans le Parc National des Virungas ou du Kahuzi-Biega, où scientifiques et même touristes peuvent s’approcher des gorilles pour les observer, les gorilles ont été habitués. L’habituation est un processus pendant lequel des humains approchent des animaux sauvages de manière répétée jusqu’à ce que les animaux s’habituent à leur présence. De cette manière, les animaux cessent d’avoir peur des gens et ne s’enfuient plus à leur approche.

Mais dans l'aire de conservation de Nkuba, qui n’est pas un parc national, il n’y a aucun touriste. Et bien qu’il soit illégal de les tuer, les gorilles sont encore tués dans de nombreuses régions du Congo. Bien qu'à Nkuba, les locaux protègent les gorilles, nous ne pouvons pas être sûrs que des braconniers ne pénètrent dans les forêts et ne s’en prennent à nos gorilles. Comme des gorilles habitués ne s’enfuiraient pas, ils constitueraient des cibles faciles pour les braconniers. Et malheureusement, nous n'avons pas la possibilité d'assurer la protection constante de gorilles que nous aurions habitués à la présence humaine. Nous croyons donc qu’en faisant en sorte que les gorilles restent sauvages, et qu’ils considèrent que les hommes comme une menace, nous les protégeons des braconniers.

Dian Fossey a travaillé pendant des années pour habituer les gorilles des montagnes au Rwanda. Aujourd'hui encore, ces gorilles doivent être suivis chaque jour par des gardes pour sles protéger des braconniers.
© Fondation Leaky

2) Pour protéger les gens

Comme nous en avons fait l’expérience il y a quelques jours, il vaut mieux ne pas s’approcher de trop près d’un gorille sauvage. Les gorilles vivent en groupes familiaux composés du patriarche, appelé le dos-argenté, de ses femelles et de leurs bébés. Quand les femelles sont effrayées, elles s’enfuient avec leurs bébés. C’est le premier bruit de branches cassées que nous avons entendu. Pour leur permettre de s’enfuir en toute sécurité, le dos-argenté reste en arrière et tente d’identifier la menace. S’il estime que la menace est réelle, il peut alors charger et même attaquer. Évidemment, les gorilles considèrent les gens comme une menace réelle. Heureusement pour nous cependant, le gorille que nous avons rencontré ne nous a pas vraiment attaqué, il voulait juste nous signifier que nous devions rester à distance. Mais une personne attaquée par un gorille s’en sort rarement indemne. C’est pourquoi à Nkuba, nous enseignons aux employés que s’ils rencontrent les gorilles par accident, comme nous, ils doivent leur montrer qu’ils ne constituent pas une menace en restant calme. Parce que les gorilles sont des animaux pacifiques quand on ne les effraye pas.

Vivre ensemble en harmonie

À Nkuba, nos gorilles ne sont plus tués par les braconniers. Et malgré le fait que nous les étudions tous les jours, nous ne déplorons pas d’attaques de gorilles. Pour le moment, rester à bonne distance des gorilles est le meilleur moyen de faire en sorte que les gorilles et les gens peuvent vivre ensemble.

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